Le retable du père Kessler

Le chœur de l’église offre une merveille religieuse et artistique au visiteur. Celui-ci vibre d’admiration et d’étonnement comme à Rome , à Venise ou à Munich. L’histoire de Marie règne sur un retable en bois de 14 mètres de hauteur. Pour comprendre et aimer ce chef- d’œuvre , il faut évoquer les événements qui ébranlent l’Europe et la Suisse au XVI siècle , c’est- à - dire la réforme protestante et la réponse catholique. En 1519 , Martin Luther rompt avec la papauté et met en marche la réforme protestante. Il est moine augustin, comme ceux de l’Auge. Le gouvernement de Fribourg s’oppose fermement à cette nouveauté. Il chasse de son territoire les partisans de cette nouvelle croyance (par exemple , Wannenmacher et Kotter, deux chanoines de Saint-Nicolas) et impose à ses citoyens un serment de fidélité à la religion catholique traditionnelle et au pape. Au couvent de Fribourg , un homme combat avec vigueur les idées nouvelles. Il s’appelle Conrad Treger, docteur de l’Université de Paris. Il est à la fois prieur de son couvent et provincial de la province rhénano-souabe. Treger subit la prison à Strasbourg et écrit un livre retentissant. Il alerte la Diète des Suisses et participe à la Dispute de Berne. Il répond aux arguments de Zwingli en citant les Ecritures. Malgré ses efforts, beaucoup de cantons suisses passent au protestantisme. Le religieux des bords de la Sarine assiste impuissant à la débâcle de ses couvents. Ainsi les Augustins de Bâle , de Berne, de Zurich ferment leurs portes et encore une dizaine d’autres dans les pays germaniques de sa province. Il meurt en 1543 et est enterré au pied du maître - autel de l’église Saint-Maurice. Dans La Liberté du 1er avril 1948, le père Bernardin Wild dresse le bilan de son apostolat: « Il fut un pionnier de la foi qu’il défendit avec acharnement, afin de garder son pays au catholicisme. Ainsi, prépara -t-il les voies à la noble tâche qu’entreprendra plus tard saint Pierre Canisius ». Les moines augustins du couvent de Fribourg sont perturbés. Après tout, Luther était leur frère. Les religieux de l’Auge se laissent aller et oublient leur idéal et leurs vœux. Ils courent les rues, les tavernes et les filles. Mais au Concile de Trente, l’Eglise se ressaisit et se donne un futur. Elle insiste sur la formation et la discipline. Elle réaffirme le mystère de l’Eucharistie et le rôle de la communion des Saints. Les pères conciliaires manifestent du génie et convoquent les forces de l’art et de l’image. Ils comptent sur les artistes pour enseigner les fidèles et toucher les cœurs par la beauté. Pendant ce temps, les protestants dépouillent leurs temples de leurs peintures et de leurs statues et brûlent ainsi d’innombrables chefs-d’œuvre. Un tragique et irréparable massacre artistique et patrimonial. A Fribourg , le couvent des Augustins a de la peine et rechigne à se lancer sur le chemin décrété par le Concile. Avec le Nonce apostolique Jean-François Bonomio, Rome est décidé à chasser les Augustins et à installer les Jésuites dans ses locaux rénovés. Ainsi le Collège Saint-Michel a failli briller de tous ses feux à la Lenda dans la basse ville… Mais avec le père Ulrich Kessler à sa tête, un prieur exceptionnel, un remarquable bâtisseur, le monastère résiste et se sauve. Le père Kessler se lance d’abord dans de grandes réformes matérielles. Il veut d’abord sauver son couvent sur le plan physique. Il améliore les revenus financiers et les augmente en gagnant de nouvelles colatures. A côté des droits de patronage sur les paroisses de Wünnewil et de Villars-sur-Glâne, il en obtient un nouveau, celui de Promasens. Il consolide les droits du couvent sur ses vignes en Lavaux (Chexbres et Corseaux) en gagnant deux coûteux procès. Il reconstruit les bâtiments du prieuré, restaure l’église et agrandit le cloître et le jardin. Rome et le Gouvernement de Fribourg réclament sans cesse des moines dignes et exemplaires. Et peu à peu, le père Kessler est touché par l’esprit tridentin et se soucie de la vie spirituelle de ses moines. Dans ce nouveau champ d’activité, il déploie toute sa puissance et son volontarisme. En 1590, le chapitre de la province le choisit comme Provincial. Le prieur est sensible à Marie et à la beauté réclamée par le Concile de Trente. Il n’est pas à l’aise avec la plume, mais avec le ciseau. Son métier de prieur- bâtisseur lui a appris le langage de la pierre taillée ou du bois sculpté. Il décide de montrer à Fribourg, à Rome et au monde sa foi catholique qui rayonne de joie, de beauté et de musique. Il choisit le mode majeur et grandiose. Il décide de célébrer la vie de s’appuyer sur les Ecritures. Il relit l’évangile, surtout celui de saint Luc. Il choisit deux événements dans la vie de Marie qui préparent la vraie libération de l’humanité et qui ont donné de la joie au ciel et de l’espoir sur la terre : le Oui de l’Annonciation et le Magnificat de la Visitation. Ainsi les évangélistes, les témoins directs de cette révolution seront présents dans le retable. Le Prieur des Augustins consulte peut- être d’autres traités théologiques et aussi des recueils iconographiques Ainsi des modèles défilent sous ses yeux comme des tableaux du Titien, de son Prince -Evêque , vit une glorieuse période artistique et culturelle. Les Jésuites construisent un collège et élèvent dans leur église des retables de plus de 12 m de hauteur. Le sculpteur choisi s’appelle Pierre Spring. Celui- ci vient d’une famille bourgeoise de la cité bruntrutaine, originaire des Franches Montagnes. Son père est menuisier, ébéniste et sculpteur. Pierre Spring a 26 ans lorsqu’il arrive à Fribourg avec son frère cadet Jacques. Les Jurassiens travaillent pendant 9 ans pour l’église des Augustins et exécutent un véritable chef-d’œuvre. Dans la ville des bords de la Sarine , ils vivent à la rue d’Or et se lient d’amitié avec les artistes du lieu: les Reyff, Künimann, Amann. Un dimanche, le Prieur vient de célébrer la messe. La préface chante dans sa tête toute la journée : « cum angelis et archangelis… cumque omni militia caelestis excercitus… hymnum gloriae tuae canimus… sine fines dicentes: Sanctus, Sanctus, Sanctus ». Alors il demande au jeune artiste jurassien de traduire toutes ses méditations en sculpture. Sous les ciseaux du sculpteur, l’Assomption devient une fête de la musique. Un ange embouche un cor, un autre joue de la harpe, un troisième gratte les cordes d’un luth et le dernier souffle dans un trombone. En montant au ciel, Marie écoute le divin concert du quatuor. Belle et heureuse , elle vibre et vit l’extase. Elle s’épanouit de tout son corps et de toute son âme. Elle jouit du bonheur éternel la tête couronnée d’étoiles comme il est écrit dans l’Apocalypse. Un ange n’arrête pas de contempler le corpsVéronèse, etc. Charles Descloux, qui a passé 30 ans de sa vie à contempler et à commenter ce chef d’œuvre et dont les notes sont conservées à la BCU, pense que Raphaël a inspiré cette œuvre. Le Prieur des Augustins cherche l’artiste capable de réaliser son projet. Il le trouve à Porrentruy. Cette ville, avec son Prince -Evêque, vit une glorieuse période artistique et culturelle. Les Jésuites construisent un collège et élèvent dans leur église des retables de plus de 12 m de hauteur. Le sculpteur choisi s’appelle Pierre Spring. Celui- ci vient d’une famille bourgeoise de la cité bruntrutaine , originaire des Franches Montagnes. Son père est menuisier, ébéniste et sculpteur. Pierre Spring a 26 ans lorsqu’il arrive à Fribourg avec son frère cadet Jacques. Les Jurassiens travaillent pendant 9 ans pour l’église des Augustins et exécutent un véritable chef-d’œuvre. Dans la ville des bords de la Sarine , ils vivent à la rue d’Or et se lient d’amitié avec les artistes du lieu: les Reyff, Künimann, Amann. Un dimanche , le Prieur vient de célébrer la messe. La préface chante dans sa tête toute la journée : « cum angelis et archangelis… cumque omni militia caelestis excercitus… hymnum gloriae tuae canimus… sine fines dicentes: Sanctus, Sanctus, Sanctus ». Alors il demande au jeune artiste jurassien de traduire toutes ses méditations en sculpture. Sous les ciseaux du sculpteur, l’Assomption devient une fête de la musique. Un ange embouche un cor, un autre joue de la harpe, un troisième gratte les cordes d’un luth et le dernier souffle dans un trombone. En montant au ciel, Marie écoute le divin concert du quatuor. Belle et heureuse, elle vibre et vit l’extase. Elle s’épanouit de tout son corps et de toute son âme. Elle jouit du bonheur éternel la tête couronnée d’étoiles comme il est écrit dans l’Apocalypse. Un ange n’arrête pas de contempler le corps superbement moulé et drapé de la nouvelle Eve qui rayonne de la lumière de Dieu. La joie règne aussi sur la terre. Devant un tombeau vide , les apôtres revivent le mystère de la résurrection. Les disciples participent en direct à l’Assomption de la mère du Christ. A genoux ou debout, des disciples de Jésus se pâment d’admiration et nagent dans la joie. D’autres, heureux de la promesse tenue et forts d’une certitude révolutionnaire , prennent leurs responsabilités pour leurs frères et sœurs, pour les hommes présents et à venir. Saint Pierre, de ses deux bras, relie le ciel et la terre et fait son métier de pontife. Avec sa main gauche , il nous convie à la scène de l’Assomption et avec sa main droite – quel honneur! – il nous invite à choisir la vraie voie , celle de la théologie catholique , pour connaître la vie éternelle et savourer corps et âme les bonheurs du paradis. Le 22 novembre 1617, le gouvernement félicite le prieur pour sa réalisation. Ce jour-là, l’avoyer de Diesbach, accompagné des Conseillers de Buman, de Reyff et Gerber descend le Stalden et congratule le prieur et les artistes. Emu et fier, Pierre Spring sculpte sa signature sur la trompette de l’ange musicien. Pierre Spring de Porrentruy a signé un chef- d’œuvre unique au monde. Avec son génie et sa foi joyeuse, il a redonné certitude et joie, vigueur et splendeur au catholicisme fribourgeois. L’artiste du Jura introduit aussi la beauté du baroque à Fribourg et en Suisse. Il meurt de la peste vers 1618. Il a 38 ans. Son frère Jacques entre chez les Capucins.

Texte tiré de l'ouvrage NICOULIN, Martin, "Invitation à la joie éternelle, L'église de l'Auge et ses saints", Paroisse Saint-Maurice, 2016.