Un vagabond du bon Dieu amoureux des saints de l’Auge

A droite, après la porte d’entrée, une plaque en marbre noir. Avec ce texte : « Saint Benoît Joseph Labre, né en France en 1748, mort à Rome en 1783, a séjourné à Fribourg en 1775 et 1776 ». La vie de ce saint français contredit son siècle, le XVIIIe, le temps des Lumières, l’avènement de la raison et d’un Dieu horloger, distant et froid. Benoît Labre voit le jour à Amettes, petit village du Nord de la France, dans une famille paysanne. Il décide de passer sa vie sous le soleil de Dieu, à vivre uniquement avec Jésus, en Jésus et pour Jésus. Il porte une bure sale et trouée, un chapeau crasseux et une besace avec du pain sec et un livre « l’Imitation de Jésus-Christ». Il ne se lave jamais. Ce pèlerin pouilleux, ce clochard puant passe agenouillé des heures dans les églises à contempler l’eucharistie. Il médite à pied les mystères du Créateur et du salut de l’homme en marchant des milliers et des milliers de kilomètres sur les chemins de l’Europe (France, Italie, Espagne, Allemagne, Suisse). Chez nous, il visite les sanctuaires d’Einsiedeln et Mariastein. Il enseigne pendant ses voyages la prière des trois cœurs.

 

Mon Dieu,
accordez-moi, pour Vous aimer,
trois cœurs en un seul.
Le premier, pour Vous,
pur et ardent comme une flamme,
me tenant continuellement en Votre Présence
et me faisant désirer parler de Vous,
agir pour Vous,
et, surtout, accueillir avec patience
les épreuves qu’il me sera donné
de devoir surmonter au cours de ma vie.

Le second, tendre et fraternel envers le prochain,
me portant à étancher sa soif spirituelle
en lui confiant Votre Parole,
en étant Votre témoin
comme en priant pour lui.
Que ce cœur soit bon
pour ceux qui s’éloignent de Vous,
et plus particulièrement encore s’ils me rejettent;
qu’il s’élève vers Vous,
Vous implorant de les éclairer
afin qu’ils parviennent à se libérer des filets du chasseur.
qu’il soit, enfin, plein de compassion
pour celles et ceux qui ont quitté ce monde
dans l’espérance de Vous voir face à face ...

Le troisième, de bronze,
rigoureux pour moi-même,
me rendant vainqueur des pièges de la chair,
me gardera de tout amour-propre,
me délivrera de l’entêtement,
me poussera à l’abstinence
et m’incitera à me défier du péché.
Car je sais que
plus je maîtriserai les séductions de la nature,
plus grand sera le bonheur
dont Vous me comblerez dans l’éternité

 

Il passe ses dernières années dans les églises de Rome et sous les escaliers du Colisée. Le peintre Antonio Cavallucci dessine son portrait. Il meurt le 16 avril 1783 et il triomphe. Les gamins parcourent la ville éternelle en criant: « e morto il santo». La foule afflue auprès de son cadavre. Des miracles fleurissent. La police intervient pour contenir l’enthousiasme populaire, et même le Ministre des Affaires étrangères du Roi de France. Mais le Vatican ouvre le procès de béatification. Le 8 décembre 1881, le Pape Léon XIII, celui qui a publié Rerum Novarum sur la question sociale et accepté le cinéma, proclame la sainteté de Benoît Labre. De grands poètes français admirent le geste papal. Paul Verlaine, l’ami de Rimbaud, écrit un superbe sonnet dont voici la première strophe:

« Comme l’Eglise est bonne en ce siècle de haine
« D’orgueil et d’avarice et de tous les péchés
« D’exalter aujourd’hui le caché des cachés
« Le doux entre les doux à l’ignorance humaine...
« Et pour ainsi montrer au monde qu’il a tort
« Et que les pieds crus d’or et d’argent sont d’argile,
« Comme l’Église est tendre et que Jésus est fort !

Germain Nouveau, un autre ami de l’auteur d’une Saison en enfer se lance sur les traces de Benoît Labre avec ces vers admirables :

« Fière statue enchanteresse
« De l’austérité que Dieu donne
« Au bout du siècle de l’ivresse
« Au seuil du siècle de l’argent.

Barbey d’Aurevilly parle juste en qualifiant le destin de Labre sur la terre : « Un pauvre plus dénué et plus pauvre que saint François d’Assise lui -même, le père de la pauvreté... le pauvre dans toute l’abjection de la pauvreté et son néant».

Benoît Labre et Fribourg? A part la plaque à l’église de Saint-Maurice, on trouve quelques traces. En 1800, le chanoine de Fivaz lit la vie du futur saint. Il parle de la présence du pèlerin d’Amettes à la cathédrale de Fribourg. Dans une note manuscrite, il raconte cet épisode: « Le vénérable Serviteur de Dieu Benoît-Joseph Labre a été à Fribourg l’an 1774 pour se rendre à Einsiedeln et il a été faire une adoration en l’église à Saint-Nicolas. Plusieurs personnes l’ont vu et observé. Je sais d’une personne cette anecdote, laquelle donna au Serviteur de Dieu un chapeau en bon état et jeta l’autre dans le ruisseau en ajoutant : «Vous n’auriez pas pu passer les montagnes avec ce chapeau usé comme celui-là».

Une biographie du Saint publiée à Paris en 1881 dit que Labre a prié dans l’église de l’Auge et bu de l’eau dans une de ses fontaines. Le 8 décembre 1881, le jour de la canonisation, le journal La Liberté publie le portrait de saint Benoît Labre avec ce commentaire : « Il aimait le canton et la ville de Fribourg. Dans ses dévotions, il s’est souvent arrêté dans cette ville, et aussi dans le village de Boesingen dont le curé avait pour lui une grande vénération». En ce temps-là, le petit village singinois avait pour curé Antoine Schueler et pour vicaire un moine du couvent des Augustins. Et c’est le chanoine Schorderet, le fondateur de l’œuvre de Saint-Paul, recteur de l’église Saint-Maurice qui a posé cette plaque de commémoration.

Texte tiré de l'ouvrage NICOULIN, Martin, "Invitation à la joie éternelle, L'église de l'Auge et ses saints", Paroisse Saint-Maurice, 2016.

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