Hommage à l'abbé Hervé Mas

Je voyais l’Abbé Mas dans le train, sur le Boulevard de Pérolles, et régulièrement dans l’une ou l’autre Kneipe des sociétés romandes. C’est au cours de ces longues discussions qu’il m’a appris tant de choses éparses que je garde désormais bien précieusement.
L’Abbé Mas m’avait expliqué une fois que son nom de famille avait des origines du côté des Catalans français ; et il m’avait aussi longtemps évoqué sa grand-mère oranaise. De là tenait-il peut-être sa gouaille et cet humour malicieux qui lui était propre. Cette malice ne se voyait nulle part alors mieux que dans ces yeux rieurs et facétieux. Il m’a tellement fait rire.

Car l’Abbé Mas avait beaucoup d’humour, et un franc parler qui le caractérisait. Peu de gens trouvaient grâce à ses yeux, et surtout pas le clergé. Il aimait les pauvres, les travailleurs, (et) les prisonniers. Pie XII avait son affection grâce à son attitude lors du bombardement de Rome : et puis il ne cachait pas non plus son admiration pour le Cardinal Gerlier qui, revêtu de toutes les traines cardinalices, avait affronté la Gestapo dans l’escalier de l’évêché de Lyon.
Sa façon de décrier certains comportements et de porter aux nues certaines attitudes était constitutif de son humour qu’il teintait volontiers de mauvaise foi. Mais cette mauvaise fois ne contenait aucun mal. Elle correspondait à sa permanente révolte et à une fraicheur d’esprit très chrétienne qui voulait qu’on ne s’assoupît jamais. Il était hurlant de franchise, parfois cynique, et n’avait jamais rejoint la platitude fade d’un clergé fonctionnarisé. Il n’avait pas dissocié la justice de la charité ; l’âge de la force ; et l’amour de la vérité.

Il m’a décrit attentivement son école primaire, et puis le jour où à l’armée, au contact d’un Capucin du pays basque, il avait résolu de devenir prêtre. Il m’a relaté son entrée au séminaire de Lyon – et la sensation qu’il éprouva avec sa valise lorsqu’il était devant la porte – puis Florimont, un bref séjour à l’Abbaye et son ordination à Fribourg.
De l’armée, il avait gardé une force virile. Je revois ses mains caleuses de charpentier, sa démarche rapide et sa volonté de fer. L’Abbé Mas, c’était Popeye en col romain.


Depuis quelques années, il avait rejoint la frange du clergé qui se bonifie avec le temps. Il égarait volontiers le papier des prières universelles et finissait régulièrement en latin des messes qu’il débutait en français. Hors des sermons, il avançait des idées aussi concrètes que de remplacer les Capucins de Bulle par ceux de Cagliari, ou d’envoyer tout le séminaire diocésain à Evron… façon idéale de se faire des amis parmi ceux qu’il appelait « les prêtres du parti ». Ces homélies quant à elles, malgré l’âge, gardaient une ligne droite et solide.


La dernière fois que je l’ai vu, l’Abbé Mas dormait dans une chambre d’hôpital en tenant dans ses bras, sous sa barbe forte, la peluche d’un petit chat. Je crois que cette image si tendre du vieillard qui s’en va vers la source première restera toujours pour moi l’expression paradoxal de sa force et de sa tendresse.
Il est décédé quelque jour plus tard, au premier jour d’une année liturgique qu’il passera loin de nous, signe probable que son cheminement terrestre profondément sacerdotal, s’achevait en plénitude.

Puisse désormais le Dieu qui vomit les tièdes, accorder à son serviteur de jouir auprès de lui d’un repos éternel.
Cher Abbé, Cher Metua, Adieu, tu vas me manquer

messe du samedi soir

17 septembre 2015

avec le Choeur-Mixte

sa dernière messe le 26 octobre 2023