La chapelle Saint-Béat

De l’autre côté du pont de Berne court la rue des Forgerons et s’ouvre la vallée du Gottéron. Au début , les habitants de ce faubourg affichent une belle indépendance. D’ailleurs , ils dépendent longtemps de la paroisse de Guin. Une légende dépeint ce territoire comme un endroit dangereux , inaccessible. Un ogre garde cette région et sème la peur , la terreur et la dévastation. Mais , un jour un ermite réussit à le dompter. Alors le monstre , dans un fracas terrible , creuse le trou de la Palme et s’enfuit dans la Sarine.

Peu à peu ce quartier rejoint celui de l’Auge et s’articule à la ville. Un imposant dispositif de tours et de remparts le force à se penser comme fribourgeois de l’intérieur. Car le Gottéron est la route classique du Bernois féroce et envahisseur. L’incendie de 1472 démontre aux habitants les bienfaits de la solidarité et des saints de l’Auge. En reconnaissance , ils fondent la confrérie de Saint-Uldaric à l’église des Augustins. Au XVI e siècle , la ville y place une de ses fontaines. C’est la fontaine de la Fidélité. Ce soldat vêtu du harnais de guerre de l’époque veille et surveille la route de Berne. Prêt à intervenir , il a déjà l’épée au fourreau. Il tient fermement le drapeau fribourgeois. Il veille , perpétuelle sentinelle , sur l’indépendance de la cité. Sur la colonne de la fontaine , la danse des enfants ailés exprime la joie du Fribourg de l’époque qui vient de réussir deux exploits: garder la foi catholique , celle des ancêtres et agrandir son territoire notamment par l’achat d’une partie de la Gruyère. Les sculptures de la fontaine racontent d’étranges histoires. On y voit un poisson , qui rappelle la Sarine nourricière , puis les armes de Fribourg , un ermite exorcisant le dragon , un autre qui écoute la trompette de l’ange. Il y a encore des initiales , celles des Gady et des Jungo. et les armes de la famille Raemy. « Ces quatre petits personnages , debout , qui sur une tête de mort qui sur une coquille qui sur un tambourin , enflant leurs joues en embouchant de grandes trompes , constituent à eux seuls un véritable petit chef d’œuvre » , comme le dit Max Techtermann. Hermann Schöpfer , dans son guide sur Fribourg , estime aussi que la décoration de la colonne de cette fontaine est la plus belle de la ville.

 

Puis Fribourg réussit sa contre-réforme. A la première bataille de Villmergen , la Suisse catholique relève la tête. En 1683 , l’Europe catholique sans la France arrête les turcs à Vienne. Fribourg publie un gros livre à la gloire de l’Hercule catholique et dresse un autel de la victoire à sa cathédrale. Ce canton consacre les deux tiers de ses revenus aux soldats de Dieu. Il replonge dans les racines de son histoire. Les Suisses relancent les Saints du début du christianisme. Celui-ci ne date pas de Calvin ou de Zwingli mais d’une quinzaine de siècles plus tôt. Un saint devient très à la mode, saint Béat , qui aurait été envoyé par saint Pierre le prince des apôtres , pour évangéliser l’Helvétie. Le père Canisius publie sa biographie , l’historien François Guillimann en parle dans ses livres. Mais son culte devient difficile , puisque Berne a muré la grotte du Beatenberg , lieu où mourut le saint.

Fribourg veut recréer le culte du Saint. L’idée naît dans la tête de l’Avoyer Tobie de Gottrau. Les politiques en parlent lors de leur conférence à Lucerne. Dans son Hercules Catholicus , Jacques Schueller revient sur les miracles du saint et espère le retour des protestants à l’ancienne foi.

Pour les Fribourgeois , le protestantisme est un dangereux dragon... qui relève la tête. Cette fois , les catholiques glissent vers la peur ; des bruits de guerre se préparent. Il faut se protéger. Le gouvernement obtient des reliques de saint Béat du Chapitre de Lucerne en 1684. La chapelle du Gottéron est bénie le 10 août de la même année et consacrée le 10 août 1696. Le gouvernement approuve ce bâtiment en donnant de la poudre pour réjouir la cité par des coups de canons.

En 1712 , les catholiques cette fois perdent à Villmergen , la dernière guerre de religion en Suisse sous l’Ancien Régime. Et la chapelle Saint-Béat tombe en ruines mais son souvenir demeure. Un jour , Pierre Kuenlin préside une assemblée des habitants de la Palme. Ceux-ci décident de rester fidèles aux vœux des ancêtres et de reconstruire la chapelle. Ils promettent de l’entretenir et de fournir les ornements nécessaires. Ils jurent aussi de payer le prêtre séculier qui chantera la messe le jour de la dédicace 62 fixée au dimanche après Pâques. Le 19 avril 1733 , le quartier de la Palme vit un jour de fête. L’évêque Claude-Antoine Duding , sacré à Porrentruy , reconsacre la chapelle Saint-Béat. Elle demeure placée sous la protection du premier apôtre de l’Helvétie , pour copier le document épiscopal mais l’autel reçoit de nouvelles reliques : celles de saint Ours et de saint Victor de la légion thébaine , celles encore des saints Donat , Innocent , Xiste et Mansuet. En donnant la bénédiction solennelle , l’évêque fait pleuvoir des indulgences sur les fidèles et donne le droit de patronage au quartier de la Palme.

Texte tiré de l'ouvrage NICOULIN, Martin, "Invitation à la joie éternelle, L'église de l'Auge et ses saints", Paroisse Saint-Maurice, 2016.