Les réfugiés de la ville

Au temps du crépuscule des Augustins
A la fin de l’Ancien régime , neuf moines vivent au couvent des Augustins. Après le temps de la splendeur , cet établissement religieux amorce son crépuscule. En 1803 , Napoléon supprime en Allemagne la plupart des couvents de la Province rhénano-souabe à laquelle appartient notre couvent depuis plusieurs siècles. Privé de ses supérieurs et de son milieu naturel , le couvent de l’Auge vit en vase clos et tombe en décadence. Il respire toujours le même air. Les religieux manquent d’échanges , de communication , de renouvellement des effectifs. Les archives de l’évêché évoquent ce grand malaise. Les moines ne respectent plus ni la règle ni la clôture. Ils célèbrent les offices religieux « avec une précipitation révoltante ». Ils boitent en marchant sur les chemins du Paradis mais cultivent allègrement les paradis artificiels. Ils célèbrent Bacchus autant que Jésus-Christ. Leurs vignes de Corseaux en Lavaux produisent six chars en moyenne , soit 2400 pots. Mais ce volume ne suffit pas à la consommation. Ils courent les filles et fréquentent les cabarets. Leurs actions pastorales en Singine s’achèvent souvent en foires mémorables. L’évêque intervient pour faire cesser ce scandale. En 1818 , pendant neuf mois , Chassot , chanoine de Saint-Nicolas et protonotaire apostolique réside au couvent et reprend en main la communauté des Augustins. Mais Monseigneur , qui a la volonté de supprimer ce couvent , n’atteint pas son objectif. Car ni Rome ni le gouvernement fribourgeois ne soutiennent l’autorité épiscopale. Puis , sous la houlette du père prieur Gélase Reinhard , un Augustin de Würzbourg , le prédicateur allemand de la Ville , la Maison de l’Auge connaît une brève restauration. Les vocations refleurissent ; les pères assument l’enseignement dans les classes allemandes de la ville. Mais la défaite du Sonderbund et l’avènement du régime radical scellent son destin. Il est supprimé le 31 mars 1848 avec effet immédiat , comme celui d’Hauterive et de La Part-Dieu. Voici la liste des derniers pères augustins du couvent de l’Auge :

  1. Meinard Raedle de Fribourg né en 1805.
  2. Antoine Zosso de Tavel , né en 1806.
  3. Posper Vonlanthen d’Alterswyl , né en 1791.
  4. Ambroise Tornare de Tavel , né en 1795.
  5. Augustin Daguet de Fribourg , né en 1805.
  6. Thomas Olivier de Fribourg , né en 1802.
  7. Victor Schmid de Soleure , né en 1804.
  8. Florentin Eltzer d’Altkirch , né en 1803.
  9. Grégoire Riedo de Guin , né en 1810.
  10. Maurice Déposieux de Villaz-Saint-Pierre.

La démolition de la chapelle du Petit-Saint-Jean
Cette chapelle disparue évoque la mémoire des premiers temps de l’Auge. Elle fut bâtie par les Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Après leur départ en Neuveville , ceux - ci la transmettent à la corporation des Tanneurs. Mais en 1580 , celle-ci donne ce sanctuaire au couvent des Augustins. Cette chapelle devient une pomme de discorde et une source de conflits entre les Augustins et le Chapitre de Saint-Nicolas. Surtout après que les chanoines ont refusé aux religieux de l’Auge d’exercer des tâches paroissiales. Car ces derniers souhaitaient ériger et administrer l’Auge en paroisse indépendante Profitant de la faiblesse démographique du couvent , l’évêque Guisolan ordonne en 1807 le transfert du Saint Sacrement de cet établissement dans le tabernacle de l’église de l’Auge. En décembre 1831 , l’évêque y interdit les trois messes hebdomadaires à cause de la mauvaise santé de l’édifice. Le 25 mai 1832 , le Conseil communal « Comme l’église du Petit-Saint-Jean en l’Auge , n’est depuis quelque temps plus fréquentée , que son clocher , ainsi que l’église même menacent ruines et qu’il est à craindre qu’il n’arrive un malheur , le Conseil décide par mesure de sûreté publique , d’inviter les RR PP Augustins qui ont la propriété de cette église de la faire démolir incessamment ou de la reconstruire. ». Le 26 juin 1832 , les moines décident de la démolir le plus rapidement possible. Probablement que le mobilier liturgique , les vases sacrés ainsi que les ornements sacerdotaux trouvent refuge à la sacristie de l’église Saint-Maurice. Et en novembre de la même année , une cloche refondue nommée Augustine égrène sa mélodie depuis le clocher du sanctuaire des Augustins. Comme le montre Zemp dans son plan de Fribourg et comme Marcel Strub en fixe la localisation dans La Liberté du 27 décembre 1951 , cette chapelle s’élevait « à l’endroit où la rue de la Samaritaine débouche sur la place triangulaire , à gauche ».

Le tableau des Saints Auxiliaires entre à l’église
Fribourg se métamorphose. Le pont suspendu symbolise cette nouveauté. Les autorités veulent améliorer les routes. Elles s’en prennent aux monuments qui entravent cette nouvelle politique. Ainsi , en l’Auge , les heures de la Tour des Mouches sont comptées. Il s’agit de la porte fortifiée située au sud du pont de Berne en face de l’auberge de la Cigogne. Cet imposant édifice date du milieu du XVII e siècle et raconte la grande peur de Fribourg. En ce temps-là , les patriciens fribourgeois craignent leurs paysans et surtout leurs voisins les Bernois. Et ils se barricadent et multiplient de lourds et inutiles ouvrages de défense. Un gros machin , avec deux portes en plein cintre , une tour , un pont-levis , deux corps de garde , une horloge. En novembre 1833 , le gouvernement autorise la démolition de la Tour des Mouches. Mais sans commettre de sacrilège. Car cette fortification , comme le montrent les anciennes gravures , abrite les quatorze saints auxiliaires , un tableau religieux que vénèrent les Fribourgeois et que gère avec leur bourse et au moyen d’un tronc d’offrande , une association du quartier. Les noms de deux responsables sont restés dans l’histoire : celui de la veuve Donny et de Nicolas Bandelet à la brasserie. Un habitant de l’Auge veille au grain et évite de blesser la sensibilité de l’Auge. C’est Aloys Mooser , facteur d’orgue renommé et membre du Conseil communal. Cet édile négocie le transport de ce tableau dans l’église des Augustins. Il fait approuver cette solution par les Augeois. Facilement , sans grande opposition , d’autant plus facilement que l’horloge de la Tour des Mouches gagnera le faîte du toit de l’Eglise et donnera toujours l’heure aux habitants du quartier. On dit que les pierres de ce pittoresque monument ont servi à construire la route de Berne. Mais le tableau des Saints Auxiliaires se trouve toujours dans le chœur de l’église Saint-Maurice. Toujours ? Cette œuvre et celle des Sept Dormants disparaissent pendant plusieurs décennies. A chaque assemblée de paroisse , Paul Gross , un cheminot à la retraite et un peintre amateur , signale ces disparitions. Un jour , l’abbé Arthur Oberson , curé de la paroisse , les retrouve à l’extérieur du couvent dans un état de délabrement complet. Marie-Thérèse Torche , historienne d’art et habitante du quartier , les fait restaurer dans une école de restauration d’art à Berne. Et en novembre 1986 , ces deux peintures retrouvent leur place dans le chœur de l’église.

Saint Daniel
Un saint se tient debout au sommet de l’autel de Notre Dame des Sept Douleurs. Lui aussi est un rescapé des transformations de Fribourg. Voici le récit de cette sauvegarde. La construction du grand pont suspendu nécessite logiquement le franchissement de la vallée du Gottéron. Ainsi , les hommes et les marchandises entreront en ville en évitant le long et pénible trajet qui part de la porte de Bourguillon , descend la colline de Montorge , traverse la Neuveville et monte la Grand’ Fontaine. En 1837 , Fribourg s’enorgueillit de cette œuvre routière. Mais du côté de Bourguillon un nouveau tronçon d’acheminement s’avère nécessaire. Derrière la porte de Durrenbühl , une chapelle doit être démolie. Un petit cordonnier boiteux prend pitié de la statue de saint Daniel et l’emporte dans sa maison. Il fonde avec ses amis une confrérie et rénove la sculpture. Puis il demande aux Pères Augustins de l’accueillir dans leur église. La Chronique des Augustins raconte en latin les événements vécus par cette nouvelle Confrérie Saint-Daniel en 1843 : « Ideo 94 hanc statutam renovari curarunt , eamque in Ecclesia nostra in altari BMV dolorosae collocarunt. Domenica prima mensis augusti in isto altari habent Summum sacrum , et dein prandium , ad quod duo e nostris invitantur ». Ainsi , ils s’assurèrent que cette statue fût rénovée et ils la placèrent dans notre église sur l’autel de la Bienheureuse Vierge Marie douloureuse. Au premier dimanche du mois d’août , devant cet autel , ils assistent à la Sainte Messe et plus tard à un déjeuner , auquel deux pères augustins sont invités.

Au temps du rectorat et de la paroisse
Après la fermeture du monastère , c’est le père augustin , Florentin Eltzer qui devient le desservant et assume un long intérim. Il est aussi aumônier de la prison installée dans l’ancien couvent. Ce moine gère le patrimoine de l’église avec beaucoup de sollicitude. Il meurt en 1869. Dans son testament , il demande à être inhumé dans le caveau de l’église auprès de ses frères. Une pierre tombale visible encore aujourd’hui rappelle cet émouvant souvenir : « Dans ce caveau repose avec ses frères le dernier des moines augustins de Fribourg le Père Florentin Eltzer d’Altkirch né le 30 août 1803 , Profès le 15 mars 1825 , ordonné Prêtre le 24 septembre 1826. Il fut desservant de l’église de Saint-Maurice de 1848 jusqu’à sa mort survenue le 23 décembre 1869 ». C’est le chanoine Schneuwly qui lui succède de 1871 jusqu’en 1875 comme l’indique sa pierre tombale. Puis l’Eglise de Fribourg se réorganise pour assumer le développement démographique de la cité. Avec l’approbation de Rome , elle fonde des rectorats pour aider le curé de la ville. Le territoire de l’Auge devient le rectorat de Saint - Maurice en 1872 et est administré par un chanoine - recteur. En 1924 , il devient la paroisse de Saint - Maurice. Pendant cette période , des objets du patrimoine religieux trouvent aussi refuge dans l’église.

Transfert des vitraux de Balmer
En 1895 , la collégiale de Saint-Nicolas prend un grand coup de jeune. Le vitrail connaît une véritable renaissance. La confrérie du Saint-Sacrement organise un concours international pour remplacer les vitraux. Elle reçoit 26 projets élaborés par des artistes de Suisse , d’Allemagne , d’Autriche , de France , de Belgique et même d’Angleterre et du Danemark. Le jury , où siègent deux grands spécialistes de Zurich , le curé de Berne et deux professeurs de l’Université , se divise entre partisans de l’art moderne et ceux de l’historicisme et ne tranche pas. Il demande aux représentants de ces deux tendances d’exécuter chacun les dessins pour deux fenêtres. Il veut marier les deux styles dans cette église. Le comité des vitraux approuve cette démarche et choisit comme verrier la jeune maison fribourgeoise Kirsch et Fleckner. Le père Berthier raconte la suite : « L’œuvre de M. Mehoffer comptait quelques adversaires , elle avait rencontré de chauds admirateurs et l’on peut dire que la grande majorité du public cultivé et portant quelque intérêt à l’art était favorable au jeune artiste polonais ; Balmer ne trouva guère de partisans ». La société fribourgeoise des Beaux-Arts intervient dans le débat et impose le choix de Mehoffer et propose d’abandonner Balmer. En 1902 , l’idée est de déplacer les vitraux déjà réalisés de Balmer dans la chapelle du Saint-Sépulcre. Mais l’opinion continue d’applaudir Mehoffer et veut « chasser » Balmer de la collégiale. Pour aller où ? La réponse se trouve dans le procès-verbal du Conseil d’Etat du 5 janvier 1917 : « L’exécution des vitraux dessinés par M. Mehoffer pour l’église Saint-Nicolas est une œuvre qui doit être continuée. Elle permettra le transfert du vitrail de Balmer à l’église des Augustins pour remplacer ceux de cette église , qui sont dans un état déplorable ». Les vitraux de Balmer respirent le Jugendstil , l’art nouveau et éclairent donc le chœur de l’église Saint-Maurice. Ils représentent saint Etienne , saint Josse , saint Hilaire , saint Sylvestre , des saints étrangers à l’histoire ou à la spiritualité de l’Auge. Le nom de leur auteur , celui de l’artiste Aloys Balmer rayonne par des fresques au Palais Fédéral et dans l’église de la Trinité de Berne et jusqu’en France d’outre-mer.

Les restes sauvés des flammes de la chapelle Progin se retrouvent à l’église Saint Maurice
Il était une fois une belle maison patricienne située au haut de la rue d’Or. Au XVII e siècle , cette demeure appartenait à la famille Progin. La numérotation de ’époque indique le chiffre 81. En 1661 , Jean-Rodolphe Progin , lieutenant de l’Avoyer obtient la permission d’ériger à son domicile une chapelle afin d’entendre la messe les dimanches et autres jours de fêtes. Il la construit au deuxième étage de son immeuble Puis ce sanctuaire devient un lieu de pèlerinage célèbre. Des pèlerins viennent y prier et demander des grâces à Notre-Dame de l’Assomption. Ceux-ci arrivent à la rue d’Or en marchant du canton , de Suisse , de France , d’Italie , de la Savoie et de la Bourgogne. Et des miracles se produisent. Un manuscrit daté de 1681 et conservé aux archives de la paroisse raconte les miracles de la grâce divine : « Elle fait ouïr dans la dite chapelle les sourds , fait aller les estropiés et guérit les boiteux et les rompures. Elle fait voir les aveugles , elle fait parler les muets , elle rend l’entendement à ceux qui l‘ont perdu. Elle restitue la santé entière aux malades. Elle fait recevoir le baptême aux enfants morts. Elle délivre de maléfices les affligés sans exorcisme. Elle fait parler les enfants au ventre de leumère même devant que d’avoir la vie... » Toujours aux archives de la paroisse , il y a une bulle du pape Innocent XII datée du 27 juillet 1691 qui donne sa bénédiction et une indulgence à tous les fidèles priant dans cet oratoire le jour du 15 août. Le dernier propriétaire s’appelle Pierre Rotzetter , couvreur. Mais cette dévotion à la Vierge de la chapelle Progin traverse les siècles. Au début du XX e siècle , en mai , le chant des enfants de l’Auge y honore le mois de Marie. Les dernières prières et le dernier sermon y furent tenus le 20 novembre 1906 par le chanoine Brasey. Puis un incendie ravage deux maisons , celles qui portent le numéro 81 et 80. Donc , les demeures de Pierre Rotzetter et celle du Café du Soleil. La commune les achète et transforme leur surface en place publique ornée de tilleuls. Dans un article des Freiburger Nachrichten du 15 janvier 1907 , le jeune Emile Ems , futur vicaire général indique que les objets de valeur ont été transportés dans l’église Saint-Maurice. Dans la sacristie , se trouve un merveilleux reliquaire ayant appartenu à la chapelle Progin avec des reliques de saint Jean-Baptiste , de saint Blaise , de sainte Hélène , de sainte Catherine , etc.

 

Texte tiré de l'ouvrage NICOULIN, Martin, "Invitation à la joie éternelle, L'église de l'Auge et ses saints", Paroisse Saint-Maurice, 2016.