Les vitraux de Buchs en 1907: l’apologie du corporatisme

Depuis 1900 , l’Auge a un recteur cultivé et amoureux de l’histoire. Il s’appelle Gustave Brasey , un chanoine de Saint-Nicolas. Il a succédé au chanoine Esseiva. Avant ce dernier , l’Auge a eu le bouillant chanoine Schorderet , fondateur de La Liberté , de l’Université et de la fanfare Concordia. Membre du chapitre , notre Brasey vibre à la grande épopée artistique de la collégiale , la création des vitraux de Mehoffer. Il souffre de voir les verrières lamentables de son église paroissiale. Il prend l’initiative de les changer et trouve des mécènes. Son projet vise à peindre sur des vitraux les portraits « des premiers curés de la paroisse ». Il confie cette intention à son journal de bord qu’il intitule « Chronique de la paroisse de Saint-Maurice ». Donc , il s’agit de célébrer le souvenir de quatre prêtres : Schneuwly , Esseiva , Schorderet , Brasey. Mais le Conseil d’Etat refuse son plan. Puis notre chanoine songe à célébrer les familles fondatrices de l’église , notamment celle des Velga. De nouveau sans succès.

Le 16 février 1907 , le gouvernement décide de remplacer les vitraux. Voici la décision : « Les sept fenêtres de la nef centrale des Augustins sont en mauvais état ; il devient absolument nécessaire de les remplacer ». Il accorde un crédit , il adjuge les travaux à la maison spécialisée de Fribourg Kirsch et Fleckner. Mais il n’accepte pas encore le contenu. Le chanoine Brasey se remet au travail et recherche une solution susceptible de rallier le Conseil d’Etat. Il propose de célébrer dans des médaillons les corporations de l’Auge au temps du Moyen Âge. Le 17 avril 1907 , le Gouvernement fribourgeois accepte le programme du recteur Brasey :

« Par office du 26 mars 1907 , M. le rév. Chanoine Brasey propose les médaillons suivants , en commençant par le haut de l’église , du côté de la rue

  1. L’abbaye des boulangers , médaillon Saint Erhard
  2. L’abbaye des tanneurs , médaillon Sainte Anne
  3. L’abbaye des tisserands de toile , médaillon Saint Jean-Chrysostome
  4. L’abbaye des maréchaux , médaillon Saint Eloi De l’autre côté , en commençant par le haut :
  5. L’abbaye des cordonniers , médaillon Saint Crépin et Saint Crispinien
  6. L’abbaye des tireurs , médaillon Saint Sébastien
  7. Confrérie de Saint-Ulrich , médaillon Saint Ulrich. »

Qui sera le réalisateur de ces vitraux ? Une visite à l’église des Augustins ne résout pas l’énigme. On ne lit que la référence de la firme Kirsch et Fleckner. Une note manuscrite de Brasey donne la réponse : « Les médaillons furent dessinés par Raymond Buchs , un enfant de la paroisse établi à Münich ». Le peintre , qui habite au Stalden , a 29 ans et a fait son apprentissage de peintre verrier dans le fameux atelier de Fribourg. En Allemagne , il découvre l’art nouveau , le Jugendstil et l’impressionnisme à Paris. Les vitraux de Saint-Maurice illustrent l’évolution des deux facettes de l’artiste au temps de sa jeunesse. Celui-ci maîtrise la peinture sur verre , comme le montrent les dessins et les couleurs de ses personnages. Mais les médaillons avec les armoiries des corporations et la composition des textes témoignent de ses talents de graphiste. A cette époque , notre artiste dirige un atelier à Berlin. Patrick Rudaz , dans son livre sur le peintre fribourgeois signale des vitraux d’église réalisés à Onnens , à Bellegarde , à Villarlod , à Torny-le-Grand. Il peut ajouter à sa liste les vitraux de l’église des Augustins.

Les vitraux de l’église Saint-Maurice ne parlent pas du présent. En 1907 , les habitants de l’Auge sont des réfugiés économiques , ils ont fui la misère des campagnes singinoises et sont devenus ouvriers dans les établissements de la ville. Les verrières du chanoine Brasey évoquent un grand moment de l’histoire de l’Auge , le temps du Moyen Age. A cette époque , le quartier vit une importante ère industrielle et connaît la richesse. Il produit des tonnes de drap et de cuir. Il exporte ses marchandises en Suisse , en France et en Allemagne. C’est le système des corporations qui gère cette économie florissante , génératrice d’emplois et de revenus.

En ce temps-là , Fribourg met ce passé glorieux au service de l’avenir. Influencé par Rerum Novarum , l’encyclique du Pape Léon XIII , Fribourg remet le corporatisme à l’honneur. Il explore une troisième voie , celle qui refuse le libéralisme et le socialisme. Ainsi les vitraux de l’église proclament la foi de l’Etat et de l’Evêché en l’avènement du mouvement chrétien-social. En ce temps-là , dans le canton , des abbés chrétiens-sociaux surdoués militent pour la question sociale. Par exemple , l’abbé André Savoy refuse la lutte des classes et combat « le capitalisme cruel et le socialisme trompeur » dans son journal l’Action sociale . Fribourg a son Hôtel des Corporations. En 1934 , le parlement fribourgeois adopte une loi sur cette institution socio-juridique qui réunit patrons et ouvriers. Mais ce dispositif légal n’entrera jamais en vigueur car contraire au droit fédéral. Quant à l’abbé Gustave Brasey , l’ancien recteur de Saint-Maurice devenu doyen du chapitre , il figure dans un vitrail de la cathédrale , celui consacré à l’histoire de l’Eglise à Fribourg , aux côtés de Mgr Marius Besson , du prévôt Jean Quartenoud et du chantre Louis Waeber.

 

Texte tiré de l'ouvrage NICOULIN, Martin, "Invitation à la joie éternelle, L'église de l'Auge et ses saints", Paroisse Saint-Maurice, 2016.