L’Auge avec la permission d’un pape a sa propre Fête

En l’Auge, les moines qu’on appelle les Ermites de Saint Augustin vivent essentiellement une vie de prière et de louange à Dieu. Ils ont la foi en Dieu, et aiment donc mieux les hommes. Les offices rythment leur journée du matin au soir, de matines à complies. L’église est leur lieu de travail. Les futurs moines y défendent leur thèse de philosophie devant un parterre de religieux et de politiques. Les nouveaux prêtres y célèbrent leur première messe. Chaque jourà la messe conventuelle , ils restent fidèles à la parole du Christ qui leur a dit de faire ceci à sa mémoire. De faire quoi? De changer le pain et le vin en son corps et en son sang. Grâce au saint sacrifice de la messe, Dieu demeure toujours sur la terre et sanctifie les âmes par la communion Mystère de l’eucharistie. Le plus beau chapitre de l’histoire de l’humanité. Cette hostie consacrée et élevée par les mains du prêtre éclaire les ténèbres du monde. Grandeur du sanctuaire où le visible retrouve l’invisible. Chaque jour, sur son autel, la terre et le ciel se rejoignent. L’Eglise militante rencontre l’Eglise céleste, celle des anges et des saints. Une lumière tamisée réjouit les visages. Lesstatues et les tableaux s’animent et font des signes. Les jeux de l’orgue et la musique des chants élèvent les cœurs et lancent des appels. Ils larguent avec foi et beauté des invitations pour le paradis. Les dimanches et jours de fêtes, les religieux augustins célèbrent la messe solennelle pour les habitants du quartier. Selon le programme du calendrier liturgique romain. Il y a aussi la messe annuelle des corporations ou des abbayes où la plaque rutile sur la poitrine de l’huissier. Mais la chronique signale des offices propres à leur ordre. Le 4 mai, les moines de l’Auge fêtent sainte Monique la maman de saint Augustin, le 28 août, ils commémorent saint Augustin, docteur de l’Eglise né en Algérie et fondateur de leur ordre. Le 31 août, Notre Dame de laConsolation. Le 10 septembre, ils exaltent saint Nicolas de Tolentino et le 11 mai saint Victor. A tour de rôle, chaque moine du haut de la chaire prononce le prêche aprèsl’avoir écrit, lu et médité dans la bibliothèque du couvent et dans sa cellule.Grâce aux Augustins et avec la permission du pape, l’Auge a sa propre Fête Dieu. Chaque dimanche dans l’octave, la Sainte Eucharistie se promène dans la foule des hommes et des femmes. Elle sourit aux reposoirs gorgés de fleurs, aux façades et aux fontaines lustrées par un soleil déjà haut dans le firmament. Le chant du Pange lingua de saint Thomas d’Aquin s’élève. A l’écoute de cette musique, le cœur des hommes des femmes, des enfants se gonfle de joie et de bonheur. Même les chiens et les chats ressentent la solennité de ce moment et restent tranquilles.

Quand l’Auge réveille sa mémoire, elle retrouve des souvenirs prestigieux et glorieux. Sa Fête-Dieu a reçu le 6 avril 1633 l’approbation du pape Urbain VIII avec des indulgences plénières. La chronique évoque le dais porté souvent par les bannerets. Une litanie de prêtres et de prélats portent l’ostensoir. Une année c’est le Prévôt, ou l’abbé d’Hauterive, l’été suivant, un chanoine de Saint Nicolas ou de Notre Dame , le supérieur des Cordeliers , celui des Capucins le prieur du couvent. Le canon tonne , la musique militaire alterne avec les chants religieux. Le 16 juin 1746, c’est l’évêque Joseph Hubert de Boccard qui porte le Saint Sacrement. Peu importe le porteur. Ce qui compte c’est l’ostensoir , une pièce rare magnifique qui rivalise avec une cathédrale gothique. Ce chef d’œuvre d’orfèvrerie date de 1476 année de la bataille de Morat, don de la famille Velga. Au cours des siècles, notre ostensoir a vécu des transformations heureuses et malheureuses. Il a connu aussi de précieuses donations. En 1781, un certain colonel de Zoug offre des rubis. En 1816, Joseph Müller, ancien maître de la monnaie de l’Etat, donne une bague en or, ornée d’un diamant. Cinq statuettes, inspirées par l’ordre des Ermites de Saint Augustin, décorent aussi cette superbe pièce de joaillerie liturgique: le Christ, la Vierge, saint Augustin, sainte Monique et saint Nicolas de Tolentino. Après la cérémonie, les autorités de l’Etat assistent au repas et boivent le vin du couvent, un excellent breuvage produit par les vignes du couvent en Lavaux. Lors de ces repas, les commentaires fusent, même si lachronique n’en dit mot. On commente les affaires de l’Etat, de l’Eglise et du couvent.

Au début du XVIe siècle, on pleure les ravages de la peste (300 morts, dont 80 en l’Auge). A la même époque, le prieur plaide souvent le grand objectif du couvent: celui de devenir le curé de l’Auge. Mais cette cause ne connaîtra jamais le succès à cause de l’opposition du Chapitre. Au XVIIe siècle, les commensaux évoquent les nombreuses processions des habitants de la ville pour arrêter les progrès de l’Islam en Europe. Le 10 juin 1737, à neuf heures du soir, à Bourguillon, la poudrière de l’Etat saute. Toutes les vitres de l’église, celles du Petit Saint Jean, de la chapelle du cimetière sont brisées. Le 29 juin de la même année, un violent incendie réduit en cendres 25 maisons de la Grand’Rue. La grande cloche du Petit Saint Jean n’arrête pas de sonner et se brise. En 1748, on admire surtout les étonnantes et audacieuses fresques de Melchior Eggmann qui décorent le réfectoire d’été du couvent, aujourd’hui salle d’audience du Tribunal cantonal. Le 19 septembre 1783. Il est 6 heures du matin. La falaise que surplombe la porte de Bourguillon, près de la chapelle de Lorette bouge, craque, descend. Elle déclenche une grosse coulée d’arbres, de pierres, de terre etde boue. Plus grave, cette avalanche tombe dans la Sarine et bloque le cours du fleuve. Un grand lac se forme jusqu’à la Maigrauge. Il faudra plusieurs semaines à une compagnie de 40 hommes pour faire disparaître cet épouvantable et dangereux barrage artificiel. En 1788, le prieur Béat Kern fait rédiger le catalogue de la bibliothèque du monastère. Les invités peut être découvrent avec surprise les enluminures d’un Graduel du 16e siècle, dont la danse macabre fascine les connaisseurs. Quand cesse la procession de la Fête Dieu de l’Auge? La Chronique la mentionne encore en 1820. Par contre, Kuenlin, dans son dictionnaire paru en 1832, signale toujours l’événement comme actuel. La disparition coïncide probablement avec la suppression du couvent en 1848.

Texte tiré de l'ouvrage NICOULIN, Martin, "Invitation à la joie éternelle, L'église de l'Auge et ses saints", Paroisse Saint-Maurice, 2016